Ancienne parisienne partie au bout de la France, je raconte mon petit bout de chemin. A la maison, nous sommes 5, Polochon, le Cromignon, la Pouillette, l'homme et moi. Ca en fait des histoires! Adepte du portage, des couches lavable, de l'éducation non-punitive, du no-poo, des cosmétiques clean, maman allaitante mais pas militante, randonneuse dans l'âme et dans les pieds, et plein d'autres trucs encore...
Eh oui, parce qu'un Cromignon pareil, ça se mérite.
Suite de ma série dont tu peux lire ici les épisodes 1, 2 et 3.
"Ah. Je vois une grossesse arrêtée."
Je me souviens m'être pris la tête dans les mains. Avoir dit "non, non, pas ça!". Avoir entendu le médecin dire que l'embryon, MON BEBE, avait arrêté de se développer à 5 semaines. Que le coeur ne battait plus.
Si tu as suivi, vu que j'en étais normalement à 9 semaines de grossesse, ça veut dire que ça faisait 4 semaines que mon bébé était mort dans mon ventre,et que moi je continuais à avoir des nausées, à être enceinte quoi! D'un bébé mort.
Le médecin a dit qu'on allait attendre une semaine et que si rien ne se passait naturellement, on me ferait un curetage. Je me suis relevée. En larmes. L'homme était tout blanc, enfin je crois, je ne voyais pas grand-chose. Je répétais "ça n'est pas possible...pas ça!".
Je suis repartie de là comme dans un rêve. Le reste du monde autour de moi était devenu flou, comme cotonneux. Je suis rentrée. Je crois bien n'avoir jamais autant pleuré.
La Pouillette a dormi chez nos amis. Je ne voulais pas qu'elle voie sa maman comme ça. Elle est restée chez eux deux jours.
Il a fallu trouver les mots pour lui expliquer. Je lui ai dit que la petite graine dans mon ventre n'avait pas bien poussé. Que maman allait devoir aller à l'hôpital pour qu'on la lui enlève. Elle a pleuré aussi. Depuis le temps qu'elle réclamait un petit frère ou une petite soeur! J'ai récolté sa peine en plus de la mienne, je ne me sentais pas assez forte pour nous deux.
Trois jours après j'ai commencé à saigner,et je suis partie aux urgences à nouveau. Ils m'ont gardée pour une nuit, pour me faire le curetage.
A mon réveil après l'opération, j'avais très mal au ventre, et très froid. Le médecin qui était dans la salle de réveil m'a remis plusieurs fois de l'anti-douleur. Ils m'ont mise dans une chambre avec une autre personne, une vieille femme qui venait de se faire opérer des pieds.
A notre arrivée dans la chambre, toute sa famille était là, ils étaient six, ils avaient posé plein d'affaires sur mon lit, ils parlaient fort et n'ont pas eu un regard pour moi quand je suis rentrée, j'étais transparente. Il a fallu que l'infirmier leur demande de dégager mon lit. Je me suis couchée et ils ont continué à parler fort, à rire, comme s'ils étaient seuls dans la chambre. Moi j'étais seule, l'homme était reparti récupérer la Pouillette.
Je sanglotais en silence, sous ma couverture, je me sentais horriblement seule, j'avais mal au ventre, je voulais qu'ils se taisent, qu'ils me laissent, je ne voulais pas être en compagnie d'inconnus, je voulais mes amis, ma famille, mon homme...
Le lendemain je suis rentrée chez moi, et j'ai voulu reprendre le travail tout de suite, pour passer à autre chose. Mais je n'aurais pas du, j'avais besoin de quelques jours, ou plus, pour me vider de ma tristesse, de ce désespoir qui avait pris dans mon ventre la place de mon bébé.
J'ai tenu deux jours au boulot, et je me suis effondrée à mon bureau. Je suis rentrée et mon médecin m'a arrêtée deux semaines pour commencer. Pendant ce temps l'homme gérait la Pouillette, et je m'efforçais de la rassurer, mais j'en était à peine capable. A la fois j'étais avide d'être entourée, d'avoir mes amis, d'être écoutée, et à la fois je n'en pouvais plus d'entendre que: ça n'est pas grave, ça arrive à beaucoup de femmes, ça vaut mieux que d'avoir un enfant mal-formé, que ça vallait mieux de le perdre maintenant qu'à 6 mois de grossesse, que ça n'était pas encore un bébé, parce que si pour moi, c'était MON bébé, et par dessus tout, que la nature est bien faite parce que NON elle n'est pas bien faite de permettre qu'un petit embryon s'accroche, se développe pendant 5 semaines et ensuite meure dans le ventre de sa mère, non, elle n'est pas bien faite. Il y a un bug là.
Entendre ces phrases toutes faites, même si elles partent d'une bonne intention, me donnaient l'impression que ma douleur si forte n'était pas justifiée, était ridicule.
Je suis restée chez moi, j'ai fait le minimum pour la Pouillette, j'ai tenté de me reposer. Mais j'avais l'impression qu'une tristesse sans fond s'était emparée de moi, et j'avais beau creuser et creuser, pleurer tout ce que je pouvais pour éspérer être ensuite soulagée, rien à faire, ça me semblait infini.
D'ailleurs ça l'est car après tout ce temps, même après avoir eu mon Cromignon d'amour, elle est toujours là, cette douleur dans mon ventre.
La suite au prochain article sur le long chemin vers le Cromignon!